HISTOIRE ET PATRIMOINE
Croix plantées sur nos chemins
Les croix et les calvaires jalonnent nos campagnes et subsistent encore en grand nombre au cœur de nos ensembles paroissiaux. Qu'elles soient nues ou calvaires, c'est-à-dire ornées de personnages, elles sont la marque de la ferveur religieuse populaire de nos ancêtres, les humbles témoignages de la piété de ces gens d'autrefois.
Dans une société où la religion était omniprésente, les croix invitaient à la piété et au recueillement. Elles protégeaient la communauté villageoise et conjuraient les horribles fléaux : peste, rage, choléra ... Les travaux de la terre, si ingrats à une certaine époque, étaient étroitement associés à la vie chrétienne du pays. Des croix bordaient les champs pour attirer la bénédiction divine sur les récoltes et pour les protéger des colères du ciel. Les anciens lieux de culte furent surmontés d'une croix pour éradiquer les croyances païennes. Il s'agissait de consacrer le monde terrestre en l'unissant au monde céleste jusque dans les campagnes les plus reculées, au détours des chemins, aux abords des hameaux. La croyance en la toute puissance de la croix fut à l'origine de nombreuses déviations superstitieuses. Certaines ont fait l'objet de légendes tenaces et le centre de pratiques qui s'apparentaient, pour des esprits mal éclairés, au merveilleux et même à l'absurde. Que de légendes, dans les coutumes de l'époque, toutes plus rassurantes ou inquiétantes les unes que les autres !
Les processions, dites de Rogations, pour la fécondité de la terre et l'abondance des blés nouveaux, parcouraient les campagnes et s'arrêtaient aux croix, l'instant d'une oraison ou d'une méditation. On y suspendait une branche de buis bénit le dimanche des Rameaux et les fidèles chantaient avec une allégresse émue. Les croix et les calvaires ont bénéficié de l'élan des "Missions", ces temps forts chrétiens pour restaurer ou étendre la pratique chrétienne que le temps et les mœurs avaient quelque peu édulcorée. Ces Missions s'achevaient souvent par l'élévation du Saint Emblème appelé "croix de mission". Lors des pardons et des grandes célébrations, les prédicateurs, près des croix, sermonnaient la foule des présents pour éveiller les âmes frustes aux mystères de la Foi.
Aujourd'hui encore, à l'entrée des villages, dans les carrefours, de belles croix de pierre se lèvent. L'art des croix présente une belle diversité quant aux matériaux et aux styles. Les unes ont la rusticité du roman, d'autres le raffinement gothique et beaucoup sont représentatives de l'art populaire. Elles s'imposent dans le paysage et affirment la présence de l'Eglise au cœur des places, des domaines, sur les routes de pèlerinages. La plus humble chapelle s'accompagne d'une belle croix ou d'un calvaire de pierre. Les calvaires des cimetières ont une allure plus élaborée. Leur message prend une importance particulière. Elles rappellent à chacun sa pauvre condition de mortel. Il vaut mieux se détourner du mal pour gagner le salut éternel. "La vie et ses plaisirs sont éphémères", lit-on sur le socle de l'une d'elles.
Regarde-t-on encore ces images de pierre ? Elles poursuivent dans leur solitude et leur silence le grand élan de chrétienté qui a su les ériger et les vénérer durant des siècles. L'art des croix élevées semble achevé. L'élan créateur des siècles passés n'est plus. La déchristianisation a fait son chemin. Les croix et les calvaires de nos chemins ne sont plus que de pauvres témoins d'une époque révolue. Beaucoup sont là, mais oubliées aux carrefours des chemins ne servant qu'à aviver la nostalgie des temps anciens ... Elles semblent porter le poids des siècles mais résistent tout de même aux assauts du temps. Plus personne ne songe, à leur rencontre, à se découvrir, à se signer comme autrefois. On ne leur reconnaît plus de pouvoir miraculeux. Cette croyance suscite de plus en plus de scepticisme, voire de moquerie.
Aujourd'hui, on déplace ou plutôt, on supprime des croix, victimes de l'aménagement du territoire. Certaines sont la proie des vandales et d'autres intéressent les receleurs d'art populaire. De nos jours, plus question d'utiliser ses forces et de se mettre en frais pour ces œuvres. Vont-elles encore survivre à notre indifférence ? Vont-elles disparaître au milieu des friches, écroulées par le poids des ans ? Il est heureux de constater que beaucoup de croix et calvaires de notre ensemble paroissial sont régulièrement entretenus, fleuris et mis en valeur dans les espaces où ils sont érigés. Un bel exemple à suivre ...
Ces souvenirs de pierre des âges passés représentent une partie de l'âme ancienne de nos régions et villages. Ils ne sont pas seulement, pour nous, une idée, une époque, une croyance éteinte. Ils restent des symboles de l'inspiration chrétienne, comme un livre scellé. Descendants de ces anciennes générations, nous ne sommes pas nourris de froides et d'indifférentes pensées qui n'admirent dans ces chefs-d'œuvre inspirés que des pierres bien travaillées, réunies avec art et disposées avec talent. Nous reconnaissons dans ces croix et ces calvaires, la Foi et les Espérances de cette chrétienté d'antan qui a toujours voulu relier la créature à son créateur, sa Terre avec le Ciel.
E.P. LA FOREST
Egrenées de-ci, de-là dans la campagne ou plantées auprès des Eglises,
il n'est de croix ni de calvaire sans pays,
il n'est de croix sans quelqu'un,
il n'est de croix sans souffrance,
il n'est de croix sans amour,
il n'est de croix non plus sans notre amour,
sinon il ne s'agit que de pierre.
Job an Irien